PÉDAGOGIE OU ALIÉNATION
Collectif d’enseignant.es, d’acteurs et actrices de l’éducation populaire et d’artistes
Capitalistes, votre civilisation n’en finit pas de crever :la nôtre ne fait qu’émerger
APPRENDRE À TRANSGRESSER
APPRENDRE À CRITIQUER
APPRENDRE À RÉSISTER
MANIFESTE
1. Sommes-nous tou.tes aliéné.es ?
2. Une pierre de plus à l’édifice des contestations
3. Définitions : aliénation et pédagogie
4. De l’apathie généralisée à l’expression collective
5. Face à la pandémie
Sommes-nous aliéné.es ? Sommes-nous libres de devenir ce que nous sommes ou sommes-nous exactement ce que l’on attend de nous ? Nous suivons toutes et tous ces parcours fléchés et ces sentiers balisés qui ne mènent à rien, si ce n’est à notre perte.
Toutes ces choses auxquelles nous avons attribué de la valeur et du sens en ont elles vraiment ? Avons-nous donné de la valeur ou nous a-t-on appris à donner de la valeur à des choses qui n’en ont pas afin d’assurer les intérêts d’individus que nous ne sommes pas ?
Pourquoi continuons-nous à baisser les yeux et à suivre les flèches disposées sur le sol alors que tant de mal-être et de désespoir étouffent les gens qui nous entourent ?
Pourquoi acceptons-nous que notre espèce soit engagée sur la voie de la destruction de l’humanité et de la planète sans sourciller ? Pourquoi participons-nous à cela ?
Pourquoi nous sentons-nous si viscéralement muselé.es, frustré.es, paralysé.es alors que nous avons envie de dire et faire tant de choses ?
Nous ne prétendons pas avoir des réponses toutes faites mais nous pensons avoir quelques éléments d’explication.
Vous êtes tou.te.s aliéné.es.
Nous sommes tou.te.s aliéné.es.
Dépossédé.es, déshumanisé.es, chosifié.es, aseptisé.es, lobotomisé.es.
Nous nous focalisons sur nos parcours individuels et nos sentiments personnels car on nous a appris qu’il s’agissait d’une valeur positive à laquelle nous devions toutes et tous aspirer pour « réussir notre vie ». Nous en justifions la concurrence, la haine des autres, le désespoir et notre paralysie.
L’aliénation nous fait oublier qui nous sommes et ce que nous pouvons faire. Nous en avons oublié que nous pouvons créer des choses, ensemble. Que nous pouvons lever les yeux et accepter de vivre autrement. Nos colères, nos frustrations, nos peines et nos joies nous appartiennent-elles ? Notre vie est devenue leur monnaie d’échange. Nous pensons qu’une contrefaçon, une parodie de pédagogie est à l’œuvre pour nous mettre au pas.
2. Une pierre de plus à l’édifice des contestations (appel)
La forme que nous donnons à lire ici n’est certes pas exempte de critique. Un appel ? A qui ? Au nom de quoi ? Pour qui nous prenons-nous, certain.e.s nous diront ? Nous ne pensons pas révolutionner les choses seul.e.s. Notre part se veut modeste mais résolue. Nous avons décidé de ne plus incarner davantage cet état de fait, de ne plus accepter d’être sous tutelle d’un pouvoir illégitime. Nous voulons réinvestir des « savoirs » qui ont été falsifiés, oubliés, mis au rebut, censurés, dénigrés, ignorés, parfois perdus. Que ces savoirs nourrissent une pédagogie permanente, partagée, pour toutes et tous, à l’école ou en dehors.
Notre objectif est de se réapproprier l’espace et la parole publiques. De les investir et de promouvoir toutes formes démocratiques de contestation possibles afin de remettre en question l’ordre dominant et de résister contre les conduites aliénantes produites par un fonctionnement capitaliste mortifère, injustement légitimé.
« Apprendre à transgresser ». Voilà l’appel que nous souhaitons lancer à toutes les personnes de bonne volonté.
Nous nous engageons à nous battre avec nos armes et à proposer des instruments, outils et expériences afin de mettre en avant toutes formes historiques de luttes, qui proposent des alternatives collectives libératrices et émancipatrices. Enrichir le débat démocratique de formes d’expression diverses et décalées est devenu un enjeu de luttes sociales et politiques, tant sur le plan théorique que pratique, pour sortir de l’enfermement médiatique auquel nous condamne le modèle ultralibéral. Si pour le capitalisme il n’y a pas de petit profit, alors pour nous il n’y a pas de petite lutte.
Nous le lançons comme un cri. Être sur tous les terrains, ceux que nous arpentons au quotidien et ceux que nous parcourrons pour préparer les lendemains. Varier les contenus, innover, pour les partager avec celles et ceux qui ne s’intéressent pas forcément à nos sujets ou ne pensent pas que ça pourrait les intéresser. Nous constatons que le système médiatique et informationnel actuel est conditionné par les structures capitalistes que nous dénonçons. Mais nous savons aussi que beaucoup de gens sont encore connectées à cette machine et qu'elle nous tient tou.te.s, tous les jours, entre ses griffes. Nous avons conscience que détourner, subvertir voire annihiler totalement cette matrice n’est peut-être qu’un voeu pieux. Mais alors quoi ? Nous devrions abandonner avant même d'avoir tenté ? Parce que c'est difficile ? D'autres ont déjà essayé, ont plus ou moins réussi, de manière collective ou individuelle, de façon spontanée ou concertée. Nous souhaitons nous joindre à elles et à eux.. « Chaque occasion est une pierre de plus ajoutée à nos frondes contre leurs lasers ».
"Si pour le capitalisme il n'y a pas de petit profit...
...alors pour nous, il n'y a pas de petite lutte."
3. Définitions
Leur aliénation
La société capitaliste est à l’origine de l’aliénation. Autrement dit, c’est l’accumulation illimitée des richesses entre les mains d’une ou d’un groupe de personne qui crée, dans ses entrailles, le processus même d’aliénation. Elle en a même besoin pour faire fonctionner son système.
Elle y parvient depuis près de 250 ans en privant et en dépossédant l’humanité de la jouissance de son travail. Le travail permet donc l’accumulation et la concentration du capital. Aujourd’hui, le travail, travailleuses et travailleurs sont dévalorisé.es, moqué.es, méprisé.es et complètement exploité.es au sein d’une dynamique mortifère qui détruit ce que nous sommes. L’estime de soi, le bien-être, la satisfaction s’évaporent au son martelé de l’aliénation capitaliste qui s’enracine dans nos corps et nos esprits. Ce sont pourtant ces valeurs dérobées qui pourraient structurer l’ensemble de l’humanité. Mais c’est cette perte individuelle qui doit nous permettre de prendre conscience que nous sommes collectivement dominé.es. Que nous le voulions ou non, nous sommes dans le même bateau. Si nous nous unissons, nous pouvons en prendre les commandes!
Mais cette forme de domination ne concerne pas que notre travail. Elle envahit la sphère de l’intime. Elle puise ses racines en nous et nous pousse à toujours baisser les yeux et les bras. Nous continuons inlassablement à reproduire les mécanismes de cette aliénation car celle-ci nous oblige à abdiquer, à accepter notre « destin ». Comment ? Il s’agit de la reproduction d’un rapport social qui peut s’immiscer dans toutes les formes de consommation des différentes classes sociales : culturelle, économique et politique. Elle est partout, industrialisée, omniprésente, permanente, lorsque nous existons, lorsque nous mourrons, dans chaque papier cadeau, dans chaque baiser volé. Nous apprenons même à l’aimer et à tout faire pour la préserver. Nous avons intégré les valeurs qui nous oppriment. Nous sommes esclaves de notre propre responsabilité.
C’est ce rapport qui nous a fait oublier que nous pouvons changer les choses. C’est lui-même qui définit, informe et conditionne fortement – mais pas entièrement – les rapports que les individus entretiennent aux objets et plus globalement au monde dans lequel ils vivent, et qui leur fait oublier que ce monde obéit à un ordre de production qui est modifiable.
Nous y participons tou.te.s car nous y CROYONS. L’aliénation est renforcée par une forme de croyance dans les règles du jeu capitaliste, qui fait apparaître des fonctionnements, procédés, appareillages, structures, rapports sociaux, comme nécessaires, naturels, comme allant de soi. Une grille de lecture ordonnée pour l’acceptation du désastre absolu. Elle renforce ainsi le fait de percevoir les productions du travail humain comme objets et marchandises, et les humains eux-mêmes comme des objets et des marchandises, qui devraient nécessairement se faire concurrence.
C’est cette aliénation, condensée dans un rapport au savoir et aux manières de produire ce savoir, de le comprendre, de l’envisager, et de le pratiquer qui est légitimée par une fraction des soi-disant « élites », reconnues comme telles par le système médiatique-économique-politique, que nous souhaitons combattre, par notre pédagogie.
Notre pédagogie
Les « savoirs » que l’on enseigne à l’école contiennent des enjeux politiques profonds. Ils sont (in)justement masqués par les conditions dans lesquelles ils sont prêchés. Cette situation est insupportable : la pédagogie qui nous anime est celle qui permet à chacun.e de se faire une idée, son idée, ses idées, de créer les conditions d’une pensée autonome, pouvant s’approprier des outils fondamentaux qui sont eux-mêmes enjeux de luttes. Lutter pour, avec et parfois contre ces outils, pour faire en sorte que nous soyons le plus grand nombre à activer de la pensée pour s’extraire des cadres qui nous sont proposés. Insuffisances de l’école, suffisance des médias et des élites, qui monopolisent et légitiment des pratiques sur lesquelles nous n’avons pas la main.
Nous mettons à disposition et nous diffusons une partie des éléments qui nous semblent essentiels car la plupart du temps absents de - et bâillonnés par - ce qu’on nous présente comme étant un espace politique démocratique.
Notre pédagogie a pour volonté de réduire l’écart qui existe entre l’école et la vie, et de stimuler toutes les formes de réflexion et d’action sur les enjeux fondamentaux des mécanismes de l’existence.
Sortir des usages fonctionnels du langage, manipulé à l’école dans l’unique but d’obtenir un brevet des acquis de la dissertation, de faire le tri, de sélectionner, de hiérarchiser, d’évaluer, de former un sous-prolétariat docile qui n’aura jamais eu les chances d’échapper à ce à quoi il était destiné : pour quoi faire ?
Tout le monde a une parole, possède des capacités d’agir et c’est à leur aiguisement que nous souhaitons collectivement contribuer, pour le bien-être du plus grand nombre. Ce savoir nous semble simplement digne et légitime d’être affirmé, et nous estimerons notre travail efficace lorsqu’il sera clair que tout peut être mis et remis en question. Tout est possible.
L’apathie généralisée est, en partie, une conséquence d’un des nombreux caractères profondément réactionnaires du capitalisme. Cette apathie est due au caractère inéluctable, indépassable, nécessaire et encore « naturel » du capitalisme. Fatal. Cette vision du monde, vendue par les idéologues, prônée par ce système est redoutable et surtout nécessaire à son hégémonie.
L’indignation et le constat permanents ne suffisent plus. Nos revendications ne peuvent plus être concurrentielles et nous atomiser, comme l'entend le libéralisme politique. Prenons tout ensemble, sans rien lâcher, sans rien céder. Se jeter dans le bain et faire des appels du pied, participer au jour d’après. Qu’on arrête de croire que tout est pourri alors que la société tient aussi et surtout parce que des éléments en son sein n’ont pas abandonné et fabriquent du commun.
Nous disposerons de notre liberté de ton. On ne veut plus jouer avec les règles du jeu qu’ils ont fabriquées : « ah non, vous ne pouvez pas dire ça », « Je veux pas discuter avec vous, taisez -vous !! », « Tu n'as pas le droit de parler parce que… ». Faire attention au moindre mot. Être dans l’inquiétude constante de ce qu’on va montrer de nous. La petite voix qui susurre « Chhhhhh... Attention, ne pas faire de vague... ». Éviter l'opprobre. « On ne peut pas tolérer ça ! Cela n’a pas de place dans notre démocratie ! »... Mais de quelle démocratie on parle ? Celle qui brandit la matraque ? Qui est légitime à faire la police des mots ? Qui sont ces tribunaux de la pensée qui jugent pour un mot ou une phrase ? À quelles normes ils se réfèrent ? Comment sont-elles établies alors qu’on n’a pas droit au chapitre ? Télévision, médias dominants, réseaux sociaux ? On nous dicte les formes de notre pensée. On nous enferme dans un espace, une petite boîte de bienséance moralisatrice qui entrave notre expression, pourtant vitale. Les mots sont nos seuls outils dont dispose la pensée pour saisir le réel. Même cela, on nous le vole… On nous dit comment il convient d’agir. Comment nous tenir. Question de posture.. Convenances et conformismes fabriquent des cadenas monstres, monstrueux, des chaînes qui s'appesantissent sur tout le monde, qui chaque jour minent nos corps. La réputation serait-elle plus importante que les convictions, la rage ou les rêves que nos coeurs veulent abriter ? On a peur du ridicule, de notre image, d'être brisée dans le hachoir médiatique et social. Nous devenons nos propres censeurs.
« Sans même nous déclarer la guerre, le capital a vaincu nos rhétoriques ».
Pourtant, notre culture et notre pensée sont légitimes. Revendiquer haut et fort nos idées, les accepter face au mépris, les assumer pleinement contre un paternalisme modérateur des consciences. Rompre cette inertie cultivée par la peur qui confine à l’impuissance. Une inertie qui renforce les dominations. On n’a plus rien à perdre. Tout est tiède. Sans saveur.
"Notre déshumanisation est en marche."
S'il en fallait encore la preuve après plus de 2 ans, plus de 2 décennies, plus de 2 siècles, la pandémie révèle que nous sommes gouvernés et administrés par des incapables. On dira que d’autres n'auraient pas fait mieux… C’est probable. Mais à l’heure où la start-up nation s’enorgueillit de ses business skills, y’a même plus un VRP dans les quartiers des ministères pour négocier quelques masques et protéger ceux et celles qui prennent soin de nous quand les coups durs frappent à la porte. Ils et elles ont été envoyés à l’abattoir pour garantir les intérêts d’une minorité d’ordures. La situation est grave. Elle questionne les fondements même de notre organisation politique. Une analyse que nous n’inventons pas mais que nous partageons avec d’autres.
L’incapacité à gérer la crise sanitaire actuelle et l’autoritarisme employé par le pouvoir nous sont insupportables. Les mesures qu'il a prises nous contraignent à nous organiser différemment, dans le prolongement d'années de combats, de labeurs, de luttes et d’actions. En vain. Nous ne supportons plus de contribuer au désastre mondial auquel nous sommes promis.es en nous enfermant dans la voie du silence sous prétexte de ne pas contrevenir à un quotidien aliénant, un ordre aliénant, une pensée aliénante. Nous nous sentons dépossédé.es de nous-mêmes. Notre déshumanisation est en marche. Il s’agit de nous contenir ou de nous extraire, comme une carie sur une dent. La dévitalisation du monde est en marche. Nous considérons que le consentement à cette forme de servilité toujours renouvelée se déroule dans le cadre d’une aliénation de tous les êtres humains qui sont en relation étroite avec ce système. Une aliénation totale qui ne cesse de coloniser chaque champ de nos vies.
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